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Pierrot de Lune
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23 mars 2017

La porte.

Elle était restée longtemps sur le seuil de cette porte.  Elle avait attendu longtemps, trop longtemps sans doute.  Des années au fil des saisons qui s'étaient  inlassablement succédées.  La douce lueur du matin et la rosée qui perlait sur ses vêtements.  Le vent léger qui la caressait et ébouriffait ses cheveux.  Le sourire des passants qui la saluaient avec un « Bonjour » amical.  Les yeux délicatement éclairés par le soleil couchant. Mais aussi, la peau bleuie par la morsure de l’hiver, brûlée par le soleil.  Le corps flagellé par les bourrasques, battu par la pluie.

Elle connaissait les moindres détails de cette porte cintrée, au demeurant magnifique.  Ce bois couleur de miel.  Elle le frôlait du bout des doigts.  Parfois, ils y rencontraient une aspérité.  Ils s’arrêtaient sur les nœuds sombres puis suivaient leur cercle irrégulier en décrivant des spires.  Lentement.  Délicatement.  Il lui arrivait de poser sa joue contre cette matière noble et chaude.  De belle hauteur, le vantail était ourlé d’une moulure simple qui en soulignait le contour .  Massive.  La clenche ovoïde était couleur vert de gris.  Et le lourd heurtoir de bronze qu’elle avait maintes et maintes fois saisi.  Sensation froide.  Elle l’avait serré dans sa main jusqu’à ce que ses phalanges blanchissent.  Que ses ongles entament sa paume.  Il lui semblait les sentir encore comme s’ils s’étaient inscrits pour toujours dans sa chair.

Elle avait frappé d’abord délicatement.  Puis avec fermeté.  Elle en était arrivée à marteler au rythme de son impatience,  avec la violence de sa colère aussi.  Celle de ne pas être entendue.  Celle de voir cette porte rester désespérément close.  Parfois, elle avait crier aussi.

L’oreille collée contre le bois, elle avait écouté attentivement, munie d’un  sthétoscope imaginaire, espérant un signe de vie.  Parfois, elle entendait la voix d’un homme qui fredonnait ou chantait à tue-tête selon son humeur.  De temps à autre,une musique lui flattait aussi l’oreille.  Elle se souvenait.  Le concerto n°21 de Mozart.  Elvira Madigan grâcieuse, légère qui évoluait sous ses yeux, funambule tragique.  Rien que pour elle.  Des bruits du quotidien, ce cœur qui bat au creux de la maison.  Elle les connaisait par cœur.  S’en était imprégnée.  Les avait apprivoisés.  Elle ne voyait rien de mal dans cette écoute.  Par contre, elle se refusait d’oser un œil par la fenêtre à croisillons qui jouxtait cette majestueuse porte.  Elle y voyait comme une intrusion dans une intimité qui n’était pas la sienne.  Et pourtant, elle écoutait.  Ecouter laisse la place à l’imaginaire, à la rêverie , à tous les possibles.  Voir, c’était entrer dans la réalité.

Elle s’était surprise à susurrer, à parler de manière intelligible, à lancer des bribes de phrases en quête d’un dialogue impossible à nouer.  Seul le silence lui répondait.  Alors, elle forçait l’articulation, haussait le ton.  Sa voix jouait sur toutes la gamme des émotions.  Il lui arrivait de chantonner.  Rien qui puisse rompre ce monologue.

Parfois, les yeux fermés, elle imaginait que la porte s’ouvrait, que l’homme qu’elle entendait fredonner lui souriait et l’accueillait avec bienveillance, l’invitait à entrer.  Peut-être même lui disait-il qu’il l’attendait.  Lorsque ses paupières s’ouvraient, elle ne voyait plus que la rue, les passants, les arbres et cette porte désespérément close.  Des larmes coulaient sur ses joues, descendaient dans son cou.  Elle étouffait un sanglot.

L’espoir l’avait longtemps fait vivre.  De plus en plus, cette attente l’usait, la détruisait.  Les membres s’engourdissaient.  Son esprit chancelait.  Son humeur était triste.  Cette petite flamme intérieure qui l’avait éclairée, guidée depuis toujours commençait à faiblir, à bleuir par manque d’oxygène.  Il ne fallait pas qu’elle s’éteigne.

Regroupant ses dernières forces, prise par la main par un instinct de survie, elle osait enfin ce qu’elle s’était toujours refusé.  Elle se levait et s’approchant de la fenêtre, se décidait à regarder à l’intérieur de la maison. Elle était vide.  Même plus encore, il n’ y avait pas de maison.  La fenêtre n’était qu’un leurre.  Factice.  Un décor.  Une façade garnie de fenêtres et de cette porte qu’elle avait tant chérie.  Le souffle coupé.  Le corps mou.  Les jambes cotonneuses, elle serrait très fort la main de cet instinct qu’elle allait suivre.  Automate.  Pantin désarticulé, elle le suivait comme une ombre.  Il l’emmenait ailleurs.  Là, où elle pourrait à nouveau respirer.  Là, où la petite flamme pourrait à nouveau reprendre de la vigueur.  Où ?  Elle n’en savait rien.  Sa seule certitude était qu’elle ne reviendrait jamais sur le seuil de cette porte.

 

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