Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Pierrot de Lune
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 1 673
Derniers commentaires
Newsletter
Archives
2 avril 2017

L’homme de la manche.

Assis sur le trottoir, adossé à la façade, il fixe devant lui un point imaginaire.  Son regard bleu est vide, absent au va-et-vient des passants pressés qui ne le voient pas.  Son visage émacié est mangé par une barbe négligée.  Les yeux tapis au fond des orbites sont cernés de noir.  Le bonnet de laine rouille enfoncé jusqu’aux oreilles raconte les tourments de l’hiver et les journées passées dehors.  Serré dans un plaid élimé, il cherche un peu de chaleur.  Ses mitaines noires peinent à réchauffer ses doigts bleuis.  C’est vrai qu’il fait bien froid aujourd’hui.  Hier aussi d’ailleurs.  Quelques flocons ont même étoilé sa couverture de fortune.  A ses côtés, un vieux sac-à-dos, jadis rouge.  Son seul bagage.

Emmailloté dans une petite couverture grise tricotée, Jim, se blottit contre lui.  Deux yeux pétillants enfouis dans une masse de poils bruns hirsutes. Il fixe les passants de son regard sombre. Il n’est pas dupe de leur intérêt et de leurs caresses.  Ami fidèle. Il ne fait pas mentir le dicton qui dit que le chien est le meilleur ami de l’homme. Le seul à ne pas l’avoir abandonné.  Le seul sur lequel il puisse compter.  Unis pour le meilleur et pour le pire.  Pas le cas de sa femme qui malgré son engagement solennel n’a pas hésité à partir vers d’autres pâturages lorsque les vaches maigres ont envahi leur foyer.  Jim. Facétieux, câlin et fidèle. 

Que sont devenus ceux qui se proclamaient ses amis. Souvent, il se rémémore les vers de Rutebeuf : « Que sont mes amis devenus
. Que j'avais de si près tenus. Et tant aimésCe sont amis que vent emporte. Et il ventait devant ma porte.
Les emporta ».

Et les autres…Son frère qui vit à l’étranger.  Ses parents qui le considèrent comme un bon-à-rien et qu’il ne voit plus qu’épisodiquement.  Ses anciens collègues dont certains feignent de ne pas le reconnaître quand ils le croisent et d’autres  qui regardent autour d’eux quand ils n’ont pas pu l’éviter et qu’il leur adresse la parole.  Il n’y a pas si longtemps, deux ans pas davantage, ils saluaient ses compétences, sa serviabilité et sa bonne humeur. Aujourd’hui, il est devenu un lépreux à leurs yeux.  Il leur dirait bien que la précarité n’est pas contagieuse mais à quoi bon.  Quand le cœur est fermé, les oreilles n’entendent pas.

Il aura suffit d’un banal accident.  Cette malencontreuse rencontre avec ce véhicule fou alors qu’il empruntait le passage pour piétons.  Une boule lancée à toute vitesse dans un jeu de quilles.  Une seule avait été renversée et c’était lui.

Renversé ? Catapulté dans les airs, il était tombé lourdement sur la chaussée quelques mètres plus loin.

Il était resté de longs mois dans son lit d’hôpital.  Dans un premier temps, il avait cru perdre à jamais l’usage de ses jambes.  Et puis, à force de courage, de persévérance, d’une longue et douloureuse rééducation, il avait conjuré le mauvais sort.  Il ne conserverait qu’une claudication de la jambe gauche.  Celle-ci aurait raison de son emploi qu’il finirait par perdre en raison d’une très opportune restructuration. 

Son avocat lui a dit récemment qu’il avait gagné la partie.  Il allait être bientôt indemnisé.  Bientôt ? Ce n’était plus qu’une question de semaines.  Elles étaient longues ces semaines.  Leur succession était interminable.

Le jour décline.  Le ciel s’assombrit.  Les rares passants hâtent le pas pour retrouver la douceur de leur intérieur.  Par la fenêtre, bien au chaud, ils pourront contempler avec émerveillement les flocons qui tombent d’abondance.

Il se lève difficilement et range dans son sac-à-dos ses maigres effets. Jim jappe et saute après les flocons.  Leurs deux silhouettes s’enfoncent dans la nuit.  L’une laisse dans la neige une trace appuyée du côté gauche.  L’autre des petites empreintes bien dessinées.

Bientôt…ce sera le printemps !

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité